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Un « tivoli » à crozant ?

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Tivoli en Italie

Vous connaissez certainement la ville de Tivoli, située à 30 km de Rome, là où la plaine de Campanie rencontre les premières montagnes. Cette ville au très long passé est surtout célèbre parce qu’on y trouve la villa Adriana, construite au IIe siècle par l’empereur Hadrien, et la villa d’Este, chef d’œuvre de la Renaissance italienne, avec ses jardins en terrasses à flanc de coteau. C’est aussi un haut lieu de la peinture de paysage, qui a été très souvent représenté par les artistes.

Les “cascatelles” à Tivoli vers 1850. Photographie de James Anderson, un peintre anglais devenu photographe à Rome | Getty Museum.

Un Tivoli dans la Creuse

Saviez-vous que le village de Crozant, dans la vallée de la Creuse, possède aussi son Tivoli ?

C’est probablement le peintre Eugène Alluaud qui a nommé ainsi le promontoire qui domine la Creuse en contrebas de sa villa et qui offre un point de vue magnifique sur les ruines de la forteresse médiévale ; du moins à son époque, quand le pâturage des moutons empêchait les arbres de pousser. Il y avait fait construire un petit pavillon, d’où l’on avait une vue plongeante sur la rivière.

Bien sûr, ce nom ne figure sur aucune carte ni cadastre, mais il est connu des crozantais. Mon père, Roland Hirou, le tenait certainement de son enfance passée à Crozant dans les années 1940. Il parlait – avec l’émerveillement de l’enfant de dix ans – des collections de papillons et d’animaux étranges qui emplissaient la villa de Charles, l’explorateur entomologiste, frère d’Eugène. Les enfants poussaient souvent leur promenade jusqu’au Tivoli – mon père disait  “le” Tivoli. Dans les années 1970, trente ans plus tard, il me disait souvent combien il regrettait que le paysage se soit “refermé”. En quelques dizaines d’années, la disparition des troupeaux de moutons avait transformé les anciennes landes de bruyères en boisements denses cachant de la vue la Creuse et les ruines. Crozant était devenu très différent de celui de son enfance et cela l’attristait de ne plus voir les paysages ouverts qu’il avait autrefois connus et parcourus.

Le Tivoli de Crozant sur un tableau de Wynford Dewhurst,peintre anglais, qui séjournait régulièrement à Crozant dans les années 1910, était un ami d’Eugène Alluaud. | Huile sur toile, non datée. Coll. Part.

Le « grand tour », tourisme et peinture de paysage

Pourquoi cette référence au Tivoli italien ?

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le voyage en Italie, pour y découvrir les chefs-d’œuvre de l’art antique, faisait partie de  la formation des jeunes aristocrates anglais. C’est ce qu’on appelait le “Grand Tour”, qui a ensuite donné son nom au “tourisme”. 

Les ruines antiques ont été découvertes à partir du XVe siècle. À Tivoli, les premières fouilles de la villa d’Hadrien datent de 1550 et, comme Pompéi,  la ville a, dès lors, toujours fait partie des lieux de visite incontournables des premiers “touristes ». Plus tard, au XIXe siècle, artistes peintres et écrivains font aussi le voyage pour représenter ces paysages. Le temple de Vesta, une ruine romaine du Ier siècle, figuraient parmi les motifs préférés des artistes et a été peint de très nombreuses fois. Claude Le Lorrain, figure titulaire de la peinture de paysage classique, idyllique et arcadien, lui consacra plus de 40 œuvres. Une « reproduction » du temple fut même bâtie dans les jardins des Buttes Chaumont, sur l’Île du Belvédère, à 30 mètres au-dessus de l’eau, ainsi que dans de nombreux autres jardins dits “paysagers” du XIXe siècle.

Le temple de Vesta et sa représentation par Claude Gellée dit Le Lorrain. | Paysage pastoral, 1644, musée de Grenoble.

Sensibilisé à l’art dès son plus jeune âge, par un père qui entretenait des amitiés avec des peintres de paysages comme Camille Corot et Charles Donzel, Eugène Alluaud suivi des cours à l’Ecole des Beaux-arts de Paris et fit, lui aussi, le voyage en Italie. Il n’est pas étonnant qu’il ait voulu faire le parallèle entre le paysage de Tivoli et celui de Crozant : la dénivellation avec la Creuse et les ruines du château évoquant à ses yeux les scènes italiennes. Dans sa villa Roca (en italien, « roche » / « forteresse », un nom qui évoque les ruines de Crozant), construite en 1905, Eugène Alluaud recevait ses amis peintres et photographes. Il avait fait de sa maison un lieu de fête, d’échanges et de créations artistiques.

La villa de son frère, Charles, à laquelle on ne connait pas de nom particulier, fut construite plus tard, vers 1928, tout près de la Roca. Or, c’est sans doute après la disparition des Alluaud et la séparation des terrains que le Tivoli intégra définitivement l’ancienne parcelle de Charles.

Le Tivoli (Crozant), Eugène Alluaud | Huile sur toile, non datée, coll. part.

Pour aller plus loin

Je remercie Liliane Chevallier, présidente de l’association ERICA à Crozant, pour les informations et les documents qu’elle m’a fournis.