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Lecture : l’invention de l’écosse

Voici un livre au titre étonnant qui annonce une découverte originale du territoire septentrional de l’île de Grande Bretagne. On connait l’Ecosse guerrière des rébellions Jacobines, ainsi que celle, plus actuelle, décrite par les tours opérateurs comme le pays du whisky, des kilts et des châteaux forts. Mais l’histoire de sa mise en tourisme, présentée ici par Mathieu Mazé, est largement méconnue.

L’invention de l’Ecosse
Mathieu MAZE
Editions Vendémiaire, août 2017
360 pages

Premiers touristes dans les Highlands

La métamorphose touristique de l’Ecosse s’est opérée au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, et fut contemporaine des déplacements forcés des Ecossais (« Highland Clearances« ), de l’appropriation des terres des petits paysans au profit de grands propriétaires (« enclosures« ), et d’épisodes de famines et d’émigrations, conséquences directes de la fragilisation de la culture gaélique commencée au lendemain de la bataille de Culloden (1746).
Ce sont ces quelques décennies, situées entre 1750 et 1850, que l’historien Mathieu Mazé documente dans son ouvrage, en s’intéressant tout particulièrement aux contrées des Highlands. Au fil des pages, il nous fait découvrir la façon dont ce territoire, au départ perçu comme « sauvage et indocile » par les anglais, devint progressivement une destination à la mode pour Londoniens fortunés.

Les paysages occupent une place centrale dans l’attrait nouveau pour les Highlands, alors qu’ils étaient eux-mêmes restés jusque-là ignorés, voir méprisés, par les voyageurs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le vocabulaire péjoratif utilisé pour décrire les Highlands correspond ensuite en tout point aux caractéristiques des paysages sublimes et romantiques qui font le bonheur des excursionnistes.

« Les rochers, les landes, la rareté des arbres sont des marques de désolation ; pour Bereton, le « pays tout entier est pauvre et dénudé. » Les montagnes sont des obstacles, offrant parfois des visions effroyables, sans jamais constituer des objets de contemplations esthétiques. »

Mathieu Mazé
North Western View from Ben Lomond, John KNOX, huile sur toile, vers 1810 | Source

Rendus célèbres par la littérature et les vues d’artistes, le Ben Lomond et son lac devinrent prisés des touristes anglais dès la fin du XVIIIe siècle. Un succès qui ne s’est jamais démenti, puisque le massif, qui fait désormais partie du Parc National des Trossachs, figure toujours en bonne place sur les itinéraires touristiques actuels.

Tous les mêmes ?

De nombreux récits de voyages – dont plusieurs furent écrits par des femmes – forment le corpus de l’étude de M. Mazé. On sourit souvent à la lecture des témoignages de touristes de l’époque, car ils ne sont pas s’en rappeler les comportements de ceux d’aujourd’hui. Prenons pour exemple les cairns de pierres que l’on dresse instinctivement en haut d’un sommet, pour laisser une trace de son ascension dans le paysage. Cette pratique est observée dès les années 1780 sur le Ben Nevis et le Ben Lomond. Il y a aussi les noms que l’on grave dans la roche ou sur des vestiges pour prouver qu’on était bien dans the place to be. Loin d’avoir disparue, cette fâcheuse habitude persiste encore à l’heure des réseaux sociaux, en témoigne les touristes qui ont reçus une contravention salée pour avoir écrit leurs noms sur les murs du Colisée, à Rome (source).


Dans le chapitre sur « les effets du tourisme », qui clôture le livre, Mathieu Mazé s’attarde justement sur tous les à côté qui endommagent la nature et les sites, et qui existent déjà au XVIIIe siècle : surpopulation des lieux, aménagements douteux, dégradations des vestiges… Sur l’île de Skye, mentionne-t-il, la grotte de Strathaird « se trouve déjà très dégradée une vingtaine d’années seulement après qu’elle a été portée à l’attention du public par Walter Scott ».

des paysages appelés à évoluer pour penser le tourisme de demain

Paysage de Fort William, Ecosse | Clément Proust, source

Si j’ai autant apprécié ma lecture, ce n’est pas seulement pour sa richesse documentaire – dense, mais très facile à lire – ni pour l’impression de faire un voyage dans le temps, dont on garde les souvenirs en tête longtemps après avoir reposé le livre, mais aussi pour ce qu’il révèle, entre les lignes, de nos rapports avec les paysages quand nous faisons du tourisme.
Car outre nos comportements, c’est aussi sur notre perception même de ces paysages que nous allons devoir évoluer. Dans un article d’octobre 2022, le National Geographic énumérait la liste des plus beaux sites du monde à découvrir en 2023. Sans surprise, les Highlands figurent dans la catégorie « Nature », avec quatre autres sites. Er pourtant, ce ne sont pas les montagnes et les landes dénudés qui sont cette fois mises à l’honneur, comme on pourrait s’y attendre, mais les reboisements en cours dans l’Alladale Wilderness Reserve, près d’Inverness.

« Les Highlands écossais, balayés par le vent, sont célèbres pour leur beauté austère, mais les paysages parsemés de moutons sont en fait le résultat d’une intervention humaine. Autrefois, les vallons et les collines d’Écosse étaient recouverts par la grande forêt calédonienne. […] Des siècles d’exploitation forestière et de surpâturage ont dévasté l’écosystème. Aujourd’hui, une initiative visant à rendre aux Highlands leurs forêts d’origine, en réintroduisant la flore et la faune d’antan dans le cadre d’un processus appelé « rewilding », prend de l’ampleur, et des avancées majeures sont prévues pour 2023. »

National Geographic, novembre 2022 | Source

Est-ce la fin des paysages « sublimes », dont nous avons hérité l’admiration des premiers touristes du XIXe siècle ?
Il se pourrait bien en effet qu’un changement soit en train de s’opérer, lentement mais sûrement, tant il est vrai que nous aurons besoin d’arbres dans les années à venir. Mais l’Ecosse n’entend pas pour autant renoncer au tourisme et a déjà commencé à communiquer autour d’une nouvelle identité : celle d’une nature « réensauvagée« . Ce terme semble promis à un bel avenir sur le marché des paysages touristiques à l’heure du changement climatique.

BONUS : Un aperçu du développement touristique dans les Highlands, à découvrir plus en détail dans le livre de Mathieu Mazé

1771/1775

Publications de deux récits de voyages fondateurs : Tour in Scotland, de Pennant, et Journey to the Western Islands of Scotland.

Années 1790

Apparitions des premiers guides touristiques imprimés à destination des voyageurs;

Années 1800

Les aubergistes mettent en place les premiers services de diligences.

Années 1820

Ouverture des premières lignes de steamers (bateaux à vapeur) pour faciliter l’accès aux îles.

1846

Thomas Cook créé un premier voyage organisé en Ecosse avec 350 personnes. C’est le début d’une nouvelle phase du tourisme.

Années 1860

Arrivée du chemin de fer dans les Highlands.

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