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Une brève histoire du paysage

Est-ce que nos lointains ancêtres préhistoriques se préoccupaient de paysage ?
On voit bien ici combien la façon dont nous appréhendons cette notion est importante pour répondre à la question. Si l’on entend par « paysage » l’étendue de pays qui s’offre au regard et sa représentation dans l’art, sans doute pas. Les artistes de la grotte de Lascaux – et de toutes les grottes ornées d’ailleurs – n’ont pas représenté de paysages. Mais s’il s’agit des lieux qu’ils parcouraient, où ils chassaient et cueillaient, des lieux où ils s’abritaient, alors le paysage était très certainement au centre même de leurs vies.
Nous avons été très marqués en Europe, au moins depuis la Renaissance, par une conception très visuelle du paysage, celle des peintres. Et cette conception a participé à une mise à distance de la nature. Le tableau de Magritte La condition humaine représente cette conception du paysage : un décor que l’on observe par la fenêtre.

Philippe Descola, l’auteur de Par delà nature et culture,  constate que cette conception est, encore aujourd’hui, étrangère aux indiens d’Amazonie. Ils ne perçoivent pas le paysage comme un tableau à regarder mais comme un réseau de relations entre les êtres qui occupent la terre et dont ils font eux-mêmes partie.

L’art des jardins a été historiquement très lié à la peinture de paysage et à l’évolution de notre regard sur la nature. L’artifice est bien sûr à son comble à Versailles, mais le jardin paysager anglais est lui-même une mise en scène de la nature savamment composée par l’homme. Ce n’est que très récemment que la vraie nature fait irruption avec le Jardin en mouvement de Gilles Clément qui laisse place aux dynamiques naturelles dans la création progressive du jardin.
De façon corollaire, le développement du tourisme a aussi contribué à l’émergence d’une certaine conception du paysage qui devient à la fois un objet de consommation et un objet à préserver. Son entrée dans le champ du patrimoine s’est faite avec son lot de malentendus, car le paysage est toujours en constante transformation.
Faire l’histoire du paysage, cela peut être par conséquent analyser l’évolution de notre conception du paysage et de notre rapport à la nature. C’est un sujet important car nos idées sont le préalable à nos actions, ou ce qui nous empêche d’agir. Gilles Clément a fait l’Eloge de la friche. Mais le temps semble encore loin – tant la friche et la nature “sauvage” nous semblent encore haïssables – où nous saurons vraiment, comme il le dit, faire avec la nature et non pas contre. Néanmoins, sous la pression des événements, notamment climatiques, notre regard est en train de changer rapidement. De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour nous y inciter. Baptiste Morizot est l’une de ces voix qui appellent à une nouvelle alliance avec la nature et les êtres non-humains. Cela peut être une alliance avec les vers de terre essentiels à la fertilité des sols et à la vie végétale, ou encore avec les pollinisateurs sans lesquels aucune récolte n’est possible.
Nous voyons bien ici que ce que nous appelons “paysage” a un sens beaucoup plus profond qui ne s’arrête pas aux apparences des choses de la nature, mais bien à leur fonctionnement et aux relations qu’elles entretiennent entre elles et avec les hommes. Ce sens là est beaucoup plus proche du vécu de nos ancêtres préhistoriques que la modernité nous a fait ignorer.
Une autre histoire du paysage peut être, de façon plus objective, non pas celle de nos perceptions, mais celle de la réalité de notre milieu de vie qui, depuis longtemps, compose avec l’homme. Depuis peu d’autres voix parlent d’Anthropocène pour signifier que l’homme a désormais acquis la capacité de transformer la planète de façon importante. Mais les paysages sont depuis très longtemps anthropisés. On découvre avec étonnement que l’homme a modifié profondément, dès le paléolithique, son milieu et les espèces animales et végétales qui l’entourent. Nos paysages sont le résultat de millénaires d’activités humaines et la compréhension de leurs transformations est utile pour aborder les défis qui se présentent à nous. C’est l’objectif que se donne la toute nouvelle Association française d’archéogéographie dont Histoires de paysage est un membre fondateur.
Ce sont toutes ces histoires du paysage et ces histoires de paysages que nous voulons aborder.
Yané (toit) est une oeuvre de Teruhisa Suzuki qui nous incite à un regard plus juste sur notre environnement. C’est un abri modeste avec un œilleton ouvert vers l’extérieur : une vue sur le village de Villefranche d’Astarac (Gers).
Photos : Philippe Hirou
Ces platanes de bord de route de Simorre (Gers) ne sont pas seulement beaux dans la lumière du soir, ils rendent nos déplacements moins pénibles pendant les canicules estivales.

Photo : Philippe Hirou

Il y a vingt ans, en 2000,  la Convention européenne du paysage qui était promulguée à Florence avait comme objectif de “renforcer la relation des citoyens avec leurs lieux de vie (…) en vue de leur épanouissement personnel, social et culturel (qui est) à la base du développement durable du territoire concerné”. Prenant en compte les “paysages ordinaires”, c’est-à-dire ceux de tous les jours et partout, elle s’écarte pourtant résolument d’une vision du paysage comme simple toile de fond et en fait un élément important de la qualité de la vie humaine. Tout en héritant d’une conception ancienne où le paysage était surtout abordé sous l’angle visuel, elle témoigne d’une évolution majeure vers une nouvelle prise en compte des relations de l’homme avec son milieu de vie.

Dans cette même perspective, Jean-Pierre Thibault, membre du Collectif des Paysages de l’après-pétrole, a répertorié des paysages du bien-être, autant de lieux où l’attention porté au paysage, au sens large, génère de la qualité de vie. Il a entrepris un tour de France pour présenter son ouvrage et les expériences relatées.